Pierre Albert-Birot
extrait inédit
Suite de sept poèmes
I
Se mettre à son balcon et regarder l’Univers c’est peut-être jeter son temps par la fenêtre
Mais qu’est-ce que ça peut bien lui faire au Temps pourvu qu’il foute le camp c’est tout
Absolument tout ce qu’il demande quant à l’Univers en question il semble il semble bien
Même c’est à peu près certain qu’on en a plein les yeux voire voire plein les mains
Alors cet Univers je ne parle pas des rues et des maisons cet Univers est là et un peu là
Eh bien vieil Univers est-ce toi qui t’es fait ou bien as-tu préféré attendre qu’on te fît
Hélas l’Univers est trop gros pour parler intelligiblement il bafouille et c’est bien tout
Et quand on le voit comm’ ça si lourd on a peine à s’imaginer qu’il ait pu tout seul
Tout seul avoir dans son néant de néant le vouloir de vouloir son vouloir être
Donc vieil Univers pour répondre sans répondre tu réponds en levant les épaules
Dans le fond cher ami tu dois avoir raison et le plus bête de nous deux est bien celui qu’on pense
Mais mais mais ce supérieur Vouloir où mais où s’est-il fourré depuis depuis
Depuis qu’il t’a mis dans l’Espace ne devait-il pas un beau jour faire en ami
La grande tournée des Mondes qui bien entendu tous tous tous l’attendaient
Et sur Terre entre autres on l’attendait tant que dans l’ombre des siècles on dit l’avoir vu
Ce Vouloir inintelligible serait venu leur dire comme tant ils le souhaitaient : Voici c’est moi
(inédit - extrait de Carnavalesques 2007, édité grâce à la gentillesse d'Arlette Albert-Birot)
présentation
Le rouleau compresseur surréaliste a tenté d’écraser de son poids les artistes individualistes contemporains, mais malgré son excavatrice
et sa benne d’anathèmes religieux, le mouvement n’a pu enterrer ni Cendrars, ni Artaud, ni Pierre Albert-Birot. Seul, Apollinaire a été honoré, sans gloire, très formellement par un banquet
en 1917 comparable à celui donné en l’honneur du facteur Cheval, immense chahut de cantine scolaire en présence de Picasso.
Pierre Albert-Birot, aîné avec ses vingt ans de plus que les appelés de la Seconde-guerre, certes tardif, mais “prêt à tout casser”, n’appartenait pas à la génération des
surréalistes. Protéiforme, éternel adolescent, inventeur enragé, il prodigue son énergie dans tous les arts, plastique, typographique et poétique, assurant à lui seul toutes les avant-gardes
possibles. A la différence des surréalistes perdus dans l’alchimie ou la psychanalyse de pacotille, il fabrique son propre langage grâce à une activité centrifuge réussie dans des domaines
inexploités, expérimentateur d’un théâtre circulaire proche des Russes où il adapte Apollinaire, de poèmes à “crier à danser”, d’un cinéma audacieux avant qu’Artaud et Desnos ne se consacrent aux
scénarios.
Créateur depuis la revue SIC, événement essentiel, parthénogénétique, il déclare”C’est ma fille, je suis son père et elle m’a donné naissance” : au total, cinquante-quatre livraisons entre
janvier 1916 et décembre 1919. Dans son acte créateur, malgré son aversion pour les mouvements en isme, il brasse les inventions des mouvements européens, futuriste, cubiste, lettriste, dadaïsme,
au point d’envisager de devenir son propre chef d’un “nunisme”, et crée sa voix unique, pétulante, déconcertante sur le plan syntactique : voilà un domaine en fin de compte où la prose élégante
de Breton, le pire ennemi de PAB, saturée d’images, ne s’aventurera jamais.
Depuis les années 90, à l’initiative d’Arlette Albert-Birot, les éditeurs décrassent l’invention de l’Entre-deux guerres faute de trouver des novateurs contemporains et entreprennent une
démarche d’historiens où enfin Pierre Albert-Birot se voit reconnu à son juste rang.. En particulier, l’éditeur Jean-Michel Place rassemble les six livres de Grabinoulor, in extenso, soit
un pavé de 1000 pages suivi d’une postface d’Arlette Albert-Birot “De l’éveil au point final” et de l’historique et de l’index des noms de personnages et des lieux de cette “épopée”. De même pour
ne pas le laisser entre les mains des bouquinistes, les éd. Zulma intègrent dans le catalogue un titre de cet écrivain inclassable, Mon ami Chronos, dialogue entre l’auteur et le Temps, après l’arrêt de toutes
les pendules de la terre.
Avec PBA; “lire est tout simplement suivre une aventure d’amour” (cf préface de Joëlle Jean dans Poésie/ Gallimard). Le lecteur partage son optimisme contagieux et sa folie dès
La joie des sept couleurs où il entrera dans sa fantaisie des onomatopées, des calligrammes : “ Je veux qu’on me donne des couleurs claires ... malgré ceux qui pleurent”, “Je prends plaisir à
m’étendre sur toi
mais
je suis légère ma
bien-aimée et mon
bleu
va si bien
à
ton blanc..”.
Mais il éprouvera bien d’autres raisons de se sentir euphoriques dans des vers sublimes où, paradoxalement, PBA s’exclame parfois au cours des moments les plus douloureux de la vie collective et
individuelle, sans ponctuation, vers laissés sur le blanc du papier, en minuscules ou resserrés
Celui devait veiller
s’est endormi
Il devait
faire la lumière il n’a pas allumé
Quand il
s’éveillera
Il dira
qu’il ne s’est aperçu de rien
S’il se
réveille
Extrait de La Panthère noire
Poèmes en 50 anneaux
Et 50 chaînons
ou vers irréguliers en capitales
“JE VOIS LE VENTRE DES OISEAUX QUI FONT DES LIGNES SUR LE CIEL ET VOILA QUE JE COMMENCE A OUBLIER LE NOM DES CHOSES EN FACE IL Y A LE DÉSIR EN PIERRE DE QUELQU’UN QUI N'EST PAS LA...
“
biographie
Né le 22 avril 1876 à Angoulême, arrivé de Bordeaux en 1893, Pierre, Albert Birot fréquente les Beaux Arts, la Sorbonne et le Collège de France. Sculpteur, peintre, puis restaurateur d’objets d’art, il fonde en 1916 la revue SIC (Sons, Idées, Couleurs), l’un des principaux carrefour de la modernité européenne de l’époque.
Dès 1918, il se consacre à l’écriture, et,sous le nom de plume de Pierre Albert-Birot, commence une œuvre éclectique, importante par sa diversité (poésie, cinéma, prose, théâtre), sa durée et la bibliographie considérable dont le Premier livre de Grabinoulor est édité en 1921 : au cours des cinquante années suivantes, l’épopée des Six livres de Grabinoulor paraissent, dont l’intégrale est publiée en 1991 chez Jean Michel Place.
Choix bibliographique
Poésie I, 1916-1920 (Trente et un poème de poche, Poèmes quotidiens, La joie des sept couleurs, La Triloterie), avant-propos d’Arlette Albert-Birot, Rougerie, 1987
Poésie II, 1916, 1924 (La Lune ou le Livre des poèmes), présentatin et notes d’Arlette Albert-Birot, Rougerie, 1992
Poésie III, 1927-1937 (Poèmes à l’autre moi, Le Cycle des douze poèmes de l’année), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1982
Poésie IV, 1931-1938 (Ma morte, Âmenpeine), Rougerie, présentation d’Arlette Albert-Birot, 1982
Poésie V, 1938-1939 (La Panthère noire, miniatures), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1983
Poésie VI, 1945-1967 (les Amusements naturels, Deux cent dix gouttes de poésie), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1983
Poésie VII, 1946-1952 (Aux trente-deux vents, Le Train bleu), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1996
Poésie VIII, 1952-1966 (Dix poèmes à la mer, Tout finit par un sonnet, La Belle Histoire), présentation d’Arlette Albert-Birot, 1985
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