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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 11:13

 

La fuite
Roman de Myriam Montoya, traduit de l’espagnol (Colombie), éd. La dragonne 2011.
       

 

                                                       


                    Les premières pages, extrêmement  brillantes, mettent  la narratrice en situation d’initiée au monde et à la misère des adultes, en compagnie de sa grand-mère adoratrice du sexe des hommes. Le roman culbute les préjugés de la maternité et la pesanteur représentée par la famille.
 
Début :
« Il y a des trajets qui changent la direction de l’existence d’un homme. Traverser un pont, une rue, une ville, une montagne peut signifier franchir l’univers ou le mystère de la mort… »
 
L’action se passe dans les quartiers de Medellin, au moment de la guerre civile ; et chacun doit en prendre son parti, même  si les problèmes de  parenté et de jalousie, reléguant l’engagement révolutionnaire au second plan, paraissent plus essentiels.
 
Poète, l’auteure dresse le portrait d’une femme extraordinaire, celui de  Omerai, mariée, abusée ensuite par Nicolas, un macho séducteur et coureur de jeunes filles :

« Toutes ces filles qui se peignaient les cheveux avec soin, se mettaient du mascara, du rouge à lèvres et du parfum bon marché après la douche… Toutes ces filles qui même ainsi, cela ne faisait aucun doute ni à ceux de Nicolas, demeuraient belles dans la précarité
. » (p 112)

L’apprentissage sexuel du personnage masculin, simple manutentionnaire, obligé de subvenir aux besoins d’Omerai et de son fils,  donnera lieu à de douces pages érotiques.
 
En découvrant le titre on se demande de quelle fuite il s’agit. Qui fuit ?  Et,  quoi ?
 
Myriam Montoya y répond à travers une sorte de chronique familiale, à travers ses personnages et des scènes à la fois colorées et désespérantes. Le dépaysement  de la fiction renvoie le lecteur à sa tendresse et à son propre pessimisme. On peut se perdre au début dans les prénoms et les liens de parenté, on s’en accommode séduit par l’atmosphère et le talent prometteur, par moments virtuose, de la jeune romancière qui a longtemps porté ce roman.
 
Christian Samson
 
Des fourmis dans la bouche de Khadi Hane (éd. Denoël  2011).
 

 
Le monde selon Khadi Hane

«
Mes enfants… fils du peuple, ils s’enivreront sur les murailles de Bandiagara, là où Amadou Hampaté Bâ a laissé son empreinte. »
 
 
 
La narratrice est Khadija, évoluant dans le quartier  cosmopolite de Château-Rouge à Paris. Elle doit lutter bec et ongles pour nourrir ses quatre enfants. Le père de l’un d’eux est un blanc (Pierre Lenoir), un blanc, comme les autres…  volage et intéressé. Ce  qui expose l’héroïne  aux foudres de ses compatriotes, hommes, femmes,  autant de ceux vivant en France que  de ceux restés au Mali (traditionalistes et profiteurs).  La rumeur a vite fait de se propager à ses dépens.
 
Le lecteur se pose très vite la  question : Truculente et femme émancipée, Khadija parviendra-t-elle  à sortir de son impasse existentielle, dans un milieu où les valeurs humaines sont si peu respectées ?
Documentaire sur les tensions autour de la butte de Montmartre entre faux prophètes, commerçants, assistante sociale et plèbe de la Sonacotra.
 
 Louis Philippe Dalembert  poète et romancier avait traité le sujet dans Rue du faubourg St-Denis  (éditions Du rocher 2005), il avait choisi le regard d’un enfant. Mais le talent de Khadi Hane est bien différent de celui du plus parisien des Haïtiens d’Europe.
 La romancière a du mordant, répond aux injustices avec une verve, une ironie sournoise qui s’exerce sur tous (y compris sur son amant épisodique : « J’étais bien placée avec mes quatre autres gosses pour savoir qu’un homme dans ma vie  ne serait qu’un touriste sur une île, renonçant à s’y fixer à cause du mal de mer »).
 
Khadi Hane est économe de ses images et préfère la nostalgie du pays natal, l’observation juste, le rendu un peu vache de la saleté humaine : « Au milieu des couleurs, un point unique scintillait, une étoile oubliée. Sa lumière n’atteignait pas la terre. Je la contemplai toute la nuit, me demandant si là-haut était caché quelque chose ou quelqu’un pour s’amuser à mes dépens. »
Le passage rappelle les dernières pages du roman d’Honoré de Balzac, Le père Goriot,
Et à des nuances près, celui d’Albert Camus, La peste, où Tarrou et Rieu conversent sur une terrasse d’Oran, au moment où les habitants de la ville célèbrent la victoire sur l’épidémie.  Le ton, ici, est autrement plus pessimiste.  
 
Malick Fall et Sembene Ousmane sont les clés dans le trousseau de Khadi Hane.
 
Comme le disait excellemment Jacques Chevrier dans son Anthologie africaine (Hatier 1981), le souci des écrivains est de « créer un langage qui serait à la fois délivré du carcan des modèles occidentaux et plus proche du langage de l’oralité traditionnelle ».
 
 
Khadi Hane. Un prénom à retenir, Khadi. A ne pas confondre avec « caddie » à 6 roues rangée devant les supermarchés.
 
 
Christian Samson

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