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23 novembre 2007 5 23 /11 /novembre /2007 10:03
Umar Timol, poète mauricien, est l'un des invités de notre revue CARNAVALESQUES -2007. Son écriture, que je qualifierai de "vigoureuse", est l'une des plus originales du recueil.
L' Île Maurice, malgré son statut particulier d'ancienne colonie anglaise, reste ancrée dans une culture francophone, puisque la majorité de la population parle ou comprend le français. Elle est un vivier très actif  -nous avions invité Khal Thorabully l'an passé sur CARNAVALESQUES -origine- de littérature française et, si vous passez par là, rendez-vous à la Libraire Le Trèfle, à Port-Louis, où vous trouvrez les oeuvres de Umar Timol et Yusuf Kadel (prochainement sur ce blog)

Artisans

 

Vous édifiez l'île. Vous en êtes les démiurges, de son passé et de son devenir. Vous tissez l'essor de nouvelles fraternités. Vous délaissez les algèbres de la manipulation. Vous tendez la main à l'enfant et au vieillard. Vous méprisez ces hyènes qui traînent langues avides sur les impasses de nouvelles compromissions.

 

Vous êtes immortels et indispensables.

 

On vous croirait presque.

 

Mais on sent ruminer vos gueules mensongères et fétides. On entend crisser vos prodigieuses bagnoles emplies du sang des faibles. On voit vomir vos carcasses emplies du goût irréductible du pouvoir.

Sachez que l'île dantesque n'a nul besoin de vous.

 

L'île, celle qui plisse sa chevelure argentée sur les caresses du soleil, l'île n'a nul souvenir des cupides, l'île n'a nul souvenir de vos perfidies, l'île dansera sa mémoire, écumera sa mémoire, larguera sa mémoire dans les mains de ses artisans, hommes de peu, hommes de rien, hommes qui brisent le sel de la mer, hommes qui bêchent terres stériles, hommes qui n'ont ni parole, ni fric, hommes aux corps noircis par une trop grande souffrance, hommes qui gravent sur dos-ardoises la trame de tyrannies inouïs, hommes aux corps ravinés par les communions de bouches affamées.

 

L'île vénèrera sa mémoire aux hommes qui n'ont que pour unique espoir les cicatrices de la dépossession.

 

                                                                       ********************

 

 

Umar Timol

 

 

Umar Timol naît le 1er août 1970 à Réduit (Île Maurice). Après quelques années sur les bancs du John Kennedy College à Beau-Bassin, Umar Timol part poursuivre ses études à l'université de Londres. Il est diplômé de l’University College de Londres

 

 

. De retour à Maurice en 1993, il chôme pendant quelques mois, exerce par la suite divers métiers avant de mettre sur pied une petite entreprise.

Grâce au soutien du poète Sedley Assonne, Umar Timol publie en 1998 ses premiers poèmes dans les pages culturelles du quotidien mauricien, L'Express. Il contribue ensuite des poèmes à l'Anthologie de la nouvelle poésie mauricienne, recueil de 1999 qui réunit les textes de cinq jeunes poètes mauriciens.

Le poète vit avec sa femme Shaheen et leurs deux enfants, Soufyaan et Maariya, à Beau-Bassin.

L'ambition du poète, dit-t-il, « est de parvenir à publier quelques recueils de qualité avant d'aller croupir parmi les vers... [Son] rêve, inavouable et dérisoire, est de laisser une trace ».

« La poésie, qu’on ne peut bien sûr pas résumer à sa dimension onirique, est un espace plus trouble, plus difficile à cerner, qu’on pourrait qualifier de clair-obscur ou d’entre-deux, c’est un espace ou s’expriment des sentiments violents, des révoltes, de nombreuses interrogations, c’est le lieu même, il me semble, de la quête. Quête sans issue sans réponses mais c’est la matière fondamentale qui régit mon écriture. »

Oeuvres principales:
Poésie:
  • La Parole Testament suivi de Chimie. Préface d'Ananda Devi. Paris: L'Harmattan, 2003.

  • Sang. Paris: L'Harmattan, 2004.             

                                                             ********************************

Article critique

Maurice, la bien nommée “’île des poètes”,  a inspiré  nombre d’écrivains, trop souvent ignorés. Edouard Maunick publie son Anthologie personnelle  seulement en 1988 aux éditions Actes Sud et précède de vingt ans la génération des auteurs de la récente revue “Point-Barre”.  Avant son troisième recueil Ouragan, Umar Timol, auteur de La Parole Testament, chimie, publie en plaquette en 2004 aux éditions de l’Harmattan Sang, un chant d’amour d’une originalité incontestable. Une plaquette ou plutôt un “ lourd pavé dans le marigot lyrique “. Son écriture déroute autant que celle d’Aimé Césaire, qui reste, selon son attachement baudelairien, le poète qui s’est aventuré le plus loin dans le modelage et l’exploration de la langue.
    L’oeuvre d’Umar Timol broie dans un élan jamais faiblissant, un souffle puissant, un contrepoint déclamé / “et tu es belle” /, grâce auquel son éloge féminin -
pourrait-on parler ici de “célébration”, de “dithyrambe”, de “louange” dans sa sémantique religieuse- commun dès le XVIe siècle, se distingue du genre.

   Le recueil se compose de deux parties, une première intitulée laconiquement “Sang” et la seconde “toi”. La première partie rebondit par sections de huit à quinze lignes en prose à partir de l’entame : “ Tu es belle et je suis fou.” Belle, l’aimée, l’idole enrobée de soie, sublime dans la sueur voilée de son corps,  inspirant passion et démesure. Le thème de l’aimée-remède réparatrice des clivages de l’amant est banal. Mais les phrases nominales, en trois syllabes, reposent volontairement et avec insistance sur l’homéotéleute* expressive (“pierre /solaire / solitaire”). L’aimée sans nom inspire une jalousie une rage meurtrière contre tous les soupirants susceptibles de l’approcher : “Et je décapite les têtes de ceux qui à tes pieds se vautrent”.


   Comme dans la tradition amoureuse, le poète animé par la fureur platonicienne de la passion unique, (adoration, ivresse) comparable au culte pour la poésie, se sent emporté par des forces tantôt guerrières tantôt généreuses, adopte des comportements qui le transforment littéralement “et je converse avec les fous”, “ Je chante les infamies avec le lépreux”. Ce bouleversement du poète prend les dimensions délirantes d’une usurpation où la modération cesse d’avoir un sens. La stratégie de la séduction cède la place à une véritable appropriation du monde, passée de l’aimée au sortilège d’une fusion totale dès leur rencontre : “Tu sillonnes les mers vengeresses”, “ je suis amant de tous les lieux”, “Je suis les houles que tu as caressées”.
    Paradoxe de l’amoureux : il se grandit dans la magie de la passion alors qu’au départ il se présentait, humble, errant assoiffé dans le désert, en “mendiant au seuil de ta taverne”. Non content de posséder physiquement sa maîtresse, il se dépasse intérieurement grâce à elle, la transforme à son image : “tu es miroir. / Tu es miroir et je te fracasse.”. Ensemble, sans aliénation d’aucun d’eux
, le couple compose un territoire conquis à défendre : “Je suis les terres que tu as foulées. Je suis tes mains ».

Le plus étrange dans ce poème tient à la violence, à la brutalité, à la cruauté qui l’anime, inspirées par un désespoir de la solitude passée et une hantise de la poésie et de la mort à venir. “Je plie ta nuque, j’éploie ton ventre... je soutire tes sèves tuméfiées... Et je veux exténuer prunelles noires qui creusent des verbes dans ma peau”.
   Le blason amoureux repose sur des procédés conventionnels, l’accumulation, l’énumération, et par certains aspects correspond à la litanie religieuse. Umar Timol rompt avec la monotonie par un style coupé.  

Ce beau poème d’éloge d’une fougue inouïe maintient l’ambiguïté entre l’amour conquis et l’amour à conquérir, l’amour synonyme de plaie et à la fois de bonheur, l’amour présent et  attendu dans un au-delà où se fondraient les atomes des corps selon la théorie de Lucréce.

Alain Gnemmi

*homéotéleute : figure de réthorique consistant en un retour des finales 

Pour écouter les émissions "Aujourd'hui la poésie", choisissez le lien"RADIO DECLIC" puis "émissions"  puis aujourd'hui la poésie"
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