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17 décembre 2014 3 17 /12 /décembre /2014 16:05

Pour une raison inconnue, je n'avais pas enregistréce texte de Uar Timol, poète mauricien, un texte envoyé pour l'année 2014, coincé dans les tuyaux du côté de janvier 2014

Je le prie de bien vouloir m'en excuser

Chers amis, je vous envoie quelques fragments. je vous souhaite une sublime année 2014.

Amicalement, Umar

Je leur souhaite de voir parfois la beauté des mots. Ils n’en feront pas un impératif de vie. Comme moi. Ils ne se mettront pas à la chercher avec ferveur et folie presque, ils ne tenteront pas de l’excaver dans des milliers de livres. Ils se contenteront de parcourir quelques pages, entre deux rêves ou deux certitudes, et se délecteront un instant de cette beauté. Ils sauront qu’il est donné à des êtres, qu’on nomme poètes et écrivains, la grâce solaire des mots, qu’il leur est possible de les ployer à volonté et des les ordonnancer selon une architecture mystique. Est-ce qu’ils se mettront alors à pleurer, est-ce qu’ils demeureront pétrifiés, incapables d’énoncer le moindre mot, le moindre souffle, est-ce qu’il leur arrivera de se dire que ce monde leur suffit, est-ce qu’ils voudront alors écrire ? Que feront-ils ? Mais qu’importe. Je leur souhaite de voir parfois la beauté des mots. Leur vie ne sera pas amoindrie autrement. On peut s’en passer.

Elle n’a après tout qu’un seule merite, parfaire l’éclosion de toute beauté en soi et parachever son règne.

D’avoir parfois vu dans vos yeux l’innocence incarnée, son caractère absolu et ses velléités, rend la mort possible. Une mort non inquiète et vénéneuse mais qui scelle un pacte avec la joie. Et c’est ainsi que je m’en irai, c’est mon vœu et ma promesse. Je ressasserai sans fin, alors que mon souffle s’éteindra, les rythmes, les lueurs et les usages de votre innocence. Ce jaillissement de lumière dans ce trop plein de limpidité, ces louanges de la beauté d’avant les ombres, l’insoumission de ceux qui ne savent pas encore les vendanges des nuits brisées, la censure des plaies du monde et ce paysage de songes labouré par les vents, que rien, ni personne ne peut renier. C’est ainsi que je m’en irai. Je m’en irai, bercé par les grandes traversées de l’innocence dans vos yeux, innocence qui m’a fait l’offrande d’une permission, celle de vivre et innocence qui fera de mon agonie une fête.

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Je ne récuse pas la transcendance de ce corps, aujourd’hui, engorgé de boue et de pluie, qui se meut dans l’extase diluvienne, ce corps qui sait qu’il n’est d’autre ancrage que la terre, cette terre qui est une boursouflure rouge-sang, terre qui chevauche ces veines émaillées de désirs et qui les défont dans les osmoses de vents qui s’évertuent à la puissance. Je ne récuse pas cette transcendance. Nulle fatalité n’enferrera sa trop grande liberté, nul scribe n’érigera dans des parchemins la syntaxe de ses abandons, nul oracle ne sèmera dans ses audaces les vertus de la mort. Mais j’inscris cette transcendance dans la transcendance divine. Qui n’est autre que l’achèvement de ce corps. Transcendance qui l’affranchit de toute frontière, qui en fait une symphonie de lumière et de toutes ses pulsions, transcendance qui est le manifeste possible de la sainteté, transcendance qui est l’oraison de la nuit et du dénuement . Ainsi transcendances conjuguées, corps toujours plus impérieux, dont l’énonciation est le désir, corps toujours plus décharné, dont l’énonciation est le renoncement, transcendances conjuguées et corps enfin exaucé.

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Nous ne pouvons forger des fidélités au-delà des abîmes, nous ne pouvons altérer le bavardage de la peste car nous sommes tous des pestiférés, nous ne pouvons nous affranchir du rituel des os et du linceul, nous ne pouvons étreindre la soie de l’autre à force de vouloir, nous ne pouvons calfeutrer la misère dans les plis de toute chair insoumise, nous ne pouvons proclamer la présence de la matière alors que le temps subvertit son souffle, nous ne pouvons garnir le regard de l’autre des festins de nos possibles, nous ne pouvons blesser ce rivage lavée par la houle et son sang, nous ne pouvons défaire les hérésies de la décrépitude, nous ne pouvons rompre le carnaval de l’infini qui nous renvoie à ce que nous sommes, sans doute rien, nous ne pouvons entreprendre de méconnaitre la férocité de nos absences, nous ne pouvons asservir le mystère selon les arcanes de notre savoir, nous ne pouvons dévoyer les cauchemars qui enserrent nos hurlements.

Nous ne pouvons que dialoguer avec cette lumière, ornée de la voilure de l’éphémère, qui parfois nous effleure.

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Elle voit parfois l’incarnation de la lumière dans les brisées de son corps. Elle tente alors de l’enfermer dans le creux de ses paumes pour en faire une source, bleue et limpide, qui assèche ses siècles de tumultes et qui rapièce les morsures de la douleur. Mais la lumière est fugitive. Elle déclame la dérive des sens et se déverse dans toute peau encore sanglée de songes. La sienne, déjà flétrie à force de marteler la pierre, ne peut être un refuge mais un lieu d’escale. La lumière s’y arrête et se dévoile, l’inonde de plénitude puis s’en va. Il ne demeure dans ses paumes que le frêle souffle de ses cendres.

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Il est donné à tout être quelques extases. La vie parfois jette son dévolu sur un corps et les lui accorde avec profusion. Ce sont sans doute ces extases qui rendent la vie possible. Peu importe le nom qu’on leur donne. Peu importe leur autorité. Peu importe qu’elles nous renvoient au déclin, qu’elles assermentent l’enfer ou qu’elles encensent la lumière en nous. Peu importe.

Ainsi il arrive parfois qu’un livre parcourt mes yeux, trainée de cendres dans mes prunelles, livre qui est le manifeste de la beauté, mots presque trop parfaitement agencés, mots cloisonnés dans l’étalage de leur couronnement, mots qui soutirent de mes yeux non des larmes mais la déraison de la littérature et de ses festins.

Est-ce que je mérite cette extase ? Est-ce qu’un seul être la mérite ? Je ne le sais trop. Je me contente de lire.

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A l’aune de quoi mesure-t’on une vie ? Du peu de choses qu’on possède ou qu’on croit posséder ? Des impressions de la vanité qu’il nous est arrive parfois de figer dans le regard des autres ? D’avoir savouré, lors de la traversée de nuits que trop furieuses, quelques extases ? D’avoir cru parfois trompé la mort en nous exerçant à une idolâtrie quelque conque ? D’avoir malmené les malentendus à coups de chimères ?

Je sais, quant à moi, que je vis absolument lors du sommeil de mes enfants, ainsi témoigner les paysages de leurs rêves et me tenir à l’orée de leurs yeux lors de l’éclosion de la lumière.

Il ne retient de cet ailleurs que des fragments. C’est un choix. Celui d’oublier la pesanteur de l’histoire et de sa mémoire. Il ne retient ainsi que les aléas de ces lieux destinés à susciter la féerie, lieux figés et reconstruits afin d’éloigner le temps, lieux qui défont toute monotonie. Ces lieux accordent à son corps la légitimité de l’absence. Il ne lui est alors plus nécessaire de penser, de réfléchir, il suffit à son corps d’être, porté par les rythmes des foules et de la lumière. Sans doute il s’exercera plus tard à comprendre. Il tentera de démêler les cordes noueuses de cet exotisme choisi, il tentera d’en extraire la raison et sa matière. Mais il faut parfois oublier. Il faut parfois faire de ces fragments un miroir, apte à capter le dérisoire de tout bonheur qui jaillit, constellations d’astres vagabonds, miroir où se réfléchit son moi non altéré mais densifié. L’ailleurs est ce miroir fragmentaire où on se contemple pour oublier.

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Et parfois il est incapable de création, son corps englué dans une matière boueuse, immobile, crucifié par les élans de l’absence. Il aimerait en faire un espace de liberté, ainsi se dépouiller de l’attente des mots, ne plus les désirer mais il ne peut être autrement. Les mots le rendent à l’innocence. Les mots étendent dans les transparences de son corps ces voiles baignées de la lumière d’avant la naissance de l’aube. L’innocence est à ce prix. Parfois souffrir face aux mots. Parfois ne plus en pouvoir. Parfois se résigner à la défaite. Parfois préférer la constellation de l’instant à ses labeurs. Mais il n’y peut rien. L’innocence est à ce prix. Il se mêlera, une fois de plus, aux mots, il tentera, une fois de plus, de les soudoyer, de les séduire, il s’agrippera à leur vouloir, il permettra à ses fragments de perforer son corps, il leur appartiendra. Il est ainsi fait. Il est du territoire des mots, entre mortification et innocence.

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17 décembre 2014 3 17 /12 /décembre /2014 15:53

Voici les deux derniers envois d'Umar Timol, poète mauricien avec lequel nous entretenons une trop lointaine correspondance, mais toujours heureux de l'envoi de ses textes inédits qui méritent mieux qu'une exposition sur notre modeste blog.

Alchimie.

Ainsi celui qui écrit puise dans les tréfonds de son être, il ne récuse aucune impudeur, il sait toutes ses obscénités, il sait toutes ses absences, il y puise une substance, boueuse, confuse, pétrie de caillots et de débris, la substance de son corps et il en fait la matière de ses mots, substance macérée qui se mue, lors du rituel de la poésie, en matière, la matière des mots, mots tissés dans la page, mots qui sont le prolongement d’un corps, non dans ce qu’il a de superficiel ou d’anodin mais prolongement de ses abîmes, corps sans censure devenu substance, devenu matière, devenu mots, mots inscrits dans les pages d’un livre, livre en quête d’un regard, d’un autre, un regard qui parfois survient, un regard qui se reconnaît dans le livre, livre-miroir, miroir-livre, regard qui s’imprègne de ces mots parce qu’ils lui parlent, parce que ces mots le touchent, ces mots l’émeuvent, ces mots parfois le brisent, mots qui pénètrent dans son corps, mots qui sont la substance de celui qui écrit, qui se dispersent dans son corps, dans le corps de celui qui lit, qui se mêlent à sa mémoire, ses larmes, ses rêves, mots désormais si présents en lui qu’ils lui sont invisibles, les mots de l’autre, de celui qui écrit, mots qui proviennent d’un corps et qui se transvasent dans un autre corps, la substance de l’un qui devient celle de l’autre, écrire est ainsi transmuer son corps en des mots qui deviennent, par la force d’un regard, d’un désir, les mots des autres, c’est un corps à corps par l’entremise de la littérature, alchimie des corps, alchimie des mots, alchimie d’un être, celui qui écrit, de sa substance en beauté, beauté des mots, beauté qui ne cesse de renaître en l’autre, celui qui lit, beauté qui ne cesse de vagabonder dans le corps de l’autre, alchimie de sa substance qui devient la substance de l’autre, alchimie qui réunit le corps de celui qui écrit au corps de celui qui lit.

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