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16 décembre 2010 4 16 /12 /décembre /2010 17:52

 

une lecture de la revue par Alain Gnemmi
Point Barre, spécial Poésie Mauricienne n°9- 10

   Parfaitement illustrée par Alex Jacquin-Ng, un de ses membres fondateurs, préfacée et présentée section par section (« la nouvelle génération », « Les grandes voix d’hier »), la revue de Maurice s’est focalisée à l’occasion de ce n
°spécial sur les auteurs mauriciens actuels, Sont relégués dans les dernières pages, non sans quelque impertinence ou remords, les classiques locaux, ceux mentionnés et cités à titre patrimonial dans les dictionnaires de poésie en langue française habituellement jetés en pâture à l’attention des universitaires -  parisiens  - : Malcolm de Chazal, Jean Fanchette,  et quelques autres décédés avant le XXIe siècle.
Sur les critères de ce choix drastique, il faudra revenir plus tard.
Point barresemble prendre exemple sur Carnavalesques4 du printemps 2010, dans le sillage de la coédition K’A et Aspect, deux éditions, installées au même carrefour, à l’orientation esthétique parfaitement connue et partageant leurs virevoltes autour d’un axe bien déterminé, celui de la poésie contemporaine.
L’anthologie des poètes contemporains Point Barre s’est contentée de retenir des noms familiers, d’autant plus aisément « retenus » qu’ils appartiennent au groupe d’amis de la revue et s’estiment réciproquement, en toute sincérité, excellents voisins, d’Ananda Devi, Umar Timol, de Yusuf Kadel, à Sedley Richard Assone, Anil Gopal, Vinod Rughonnundun.  J’en oublie. Au total 8 poètes aisément exportables, sous forme d’échantillons découpés à vif dans la chair de leur œuvre publiée au cours des quinze dernières années que ce soit à Maurice, chez un éditeur parisien, réunionnais ou chez un autre guyanais (les courageuses éditions Ibis rouge). On peut alléguer que l’objectif d’une anthologie est de rendre compte rétrospectivement d’une production littéraire représentative du « climat poétique » insulaire, il n’empêche que les choix de celle-ci, quitte à faire preuve de sévérité, paraissent avoir été vite arrêtés, d’emblée évidents, réducteurs, consensuels, sélects et fermés. Aucun nuage, aucun scrupule ne ternirait-il pas le paysage inchangé – idéalement vu de France - de Maurice où, arbitre indulgent, le soleil  récompenserait unanimement et flatterait l’autosatisfaction personnelle ?
Moins méchamment, disons, cela va de soi, que les poètes contemporains mauriciens méritent leur place, et ont du talent – sinon davantage – pourvus d’un punch efficace, ils réagissent à leur éloignement et se défendent bien, résistent  dans leur contexte et prennent de plus en plus d’importance, harmonieusement, dans la champ francophone trop longtemps occupés par des danseurs en sabots évoluant d’un même pas.
L’œuvre romanesque  d’Ananda Devi, riche d’une dizaine de livres, environ – la plupart inscrits au catalogue de Gallimard, légitimité oblige ! - réserve ailleurs,  sous un jour mieux inspiré, et plus sulfureuse, plus authentiquement » artiste », de meilleures pages que la « copie » sèche proposée ici où, d’un point de vue rythmique, virgules et points, ici ou là essoufflés d’encre,  se disputent, se marchent sur les pieds, se réconcilient – un couple aussi disparate que celui composé par une mygale et un scorpion sur la table d’un médecin légiste -–  Sous nos yeux…  qu’est-ce qui est raconté ? Une étreinte amoureuse montrée avec application, dans ses difficultés grammaticales déjouées l’une après l’autre – enfin surmontées - et sa néologie pudique, ses mots précieux «  
les serments se délitent».
Dégraissée de ses adjectifs, d’un coup vigoureux de blanc couvrant Tipp-Ex, l’écriture de Vinod  Rughoonud privilégie, au contraire, la nomination, la tendresse et la crudité des détails dans l’invitation. Presque mimétiquement sur le papier jaune caractéristique de la revue, certains mots répétés volontairement, l’étreinte décevante se produit, amère et déplorée à travers le rire de l’amante et le très verlainien refrain opportunément invoqué : «
il pleut / sur tes hanches ». La même finesse se trouve déjà dans le poème précédent de Vinod  Rughoonud où sont déclinés, entre des allitérations en /s/, les dérives de la solitude et du seuil, entre l’intimité sentimentale et le cosmique, avant la chute, véritable retournement et variation subtile du mot « pluie :
«
là où le soleil devient oursin/ et où la pluie se retourne contre le vent ».
A la décharge d’Amanda Dévi, romancière engagée dans un gros œuvre à long terme où le lecteur doit s’imprégner progressivement de l’atmosphère qu’elle construit, priment, par obligation, dans un roman la vraisemblance et la montée des événements, donc une séduction lente et préparée alors que la maîtrise d’un objet poétique est toute différente et demande moins de temps, sa magie est instantanée et aussi brève que son intuition – un parfum une fois le bouchon retiré, répandu.
Le poème de Sylvestre Le Bon est scandé au rythme du séga, morceau musical très pratiqué dans l’Océan Indien, différent du Maloya, musique et danse de séduction très ludique entre partenaires. Il est tiré d’un recueil
Les chemins de feuet répare un oubli. Un bon point pour Point Barre : Sylvestre Le Bon était absent de Carnavalesques 4.  - Voilà l’injustice réparée-  Le séga de Sylvestre Le Bon n’est pas sans déshérence, il associe dans le déhanchement des «belles créoles » la complicité de la nature  (« le rythme du séga prend l’accent du ressac / Dans les jambes  des danseuses », la réconciliation du moment présent et d’un passé de migrations forcées : « Loin des sépoys fuient/ Femmes et enfants descendant Bénarés / Le regard posé sur Mirich Desh… Bleu est le rêve des aventuriers / Scrutant d’une rade de Lorient … la petite France lointaine… ». Dans le séjà, comprend le lecteur, il y a bien davantage qu’une distraction, bel et bien un vertige dans l’espace et le temps où les corps défient les points cardinaux et les balises funèbres de l’Histoire, un réveil sensoriel (les variétés de tons, dans le bleu camaïeu), une griserie olfactive propice à la volupté et à la mise en bière des malheurs –grâce aux accords d’instruments d’origines diverses, balafon, sitar, biniou : « les belles créoles/ Qui réveillent les parfums captifs… Le sang des effluves sue les chemins de feu»)  Auparavant, dans le n°7 de Point Barre, Sylvestre Le Bon avait déjà  marié – combiné - la lumière et le souffle, la conscience d’une vacuité personnelle ou collective – syndrome insulaire – à travers « les noces du vent et du soleil » dans le poème au titre laconique  «  L’ombre ».
Michel Ducasse tire toujours parti de la rime – encore que restreinte, circonscrite à la reprise d’une seule voyelle d’écho – ou, rime « pauvre » - dans l’extrait de « Soirs d’enfance » - «  
L’enfance se raconte dans les pages déchirées ». Se substitue au phrasé long puisé dans le décasyllabe ou les vers hétérométriques, des vers courts, des vecteurs radiaux tracés à partir d’une passion pour les techniques graphiques du peintre dans «Ainsi va lavis, alphabet ». Les homophones dont il ne peut se passer, après  compulsion des mots, à distinguer et à préférer au « jeu de mots », tout autre, en effet, est la rumination verbale qui n’est pas nécessairement facétieuse, révèlent une tendance à écrire –lire, deviner - dans les énoncés d’autres mots que ceux entendus, comme s’il existait pour lui un divorce, toujours un temps de retard ou un quiproquo adjacent par le fait d’entendre un sens entendu autrement, dans son signifiant, un jeu entre les différents signifiés, un flottement dans la danse des syllabes, une fracture sensible entre la désignation et le sensible de l’objet qu’il s’agit de dire. Michel Ducasse relève et formule , surligne - en commentaire explicite - l’impensé d’un lecteur à l’ouïe dure. Ainsi « mantille » entendu se rapproche fatalement et non par approximations verbales, de « mentir ». La dissimulation physique par une parure vestimentaire n’est-elle pas, dans une certaine mesure oui, un artifice, une façon de tromper sur l’apparence ? De même la contiguïté  entre « lavis «  et « la vie » n’est pas anodine, elle amène à lire constamment l’énoncé entre la beauté et la réalité amère. L’humeur du poète chevauche entre «  chien et loup », « aux heures grises », dans l’instant où ce dernier contemple son travail et prend du recul en jaugeant – en doutant de ce qu’il a fabriqué, - le chantier se poursuit  certes sur terre meuble, en sables mouvants. « aquarelle / Aux teintes tristes / Ou d’un pastel / Que pleure l’artiste». Sa petite musique, dans ce texte, tranche avec le développement où Michel Ducasse avouait, dans « Les mots que tu aimas », (Carnavalesque n°4) : «  J’écris sans retenue dans le plus simple appareil / Je mets mon cœur à nu…». On peut lui répliquer, pour le rassurer – le conforter si possible -  que les mots ne cessent de le hanter, avec leurs fortes marées et leurs courants trompeurs, et la permanence stimulante de leurs fâcheries de mer – ou d’Océan Indien : une rumeur sourde du liquide agité au fond d’un verre. Chacun de ses textes se dresse comme une digue pour contenir la crue verbale dont il se plaint, ouvrage de maçonnerie et contrefort,  petit à petit, pièce après pièce, l’œuvre érige sans l’aide d’un fil à plomb ses exactes proportions.
« Point Barre « expression parlée empruntée au technocrate, ou à l’agent administratif,   néologisme branché de « décideur » ferme dans son parler  et dans sa m
âle assurance d’aller droit au but, de ne pas revenir sur un dossier traité qui lui « a pris la tête », avec sa ponctuation et son code barre pour la vente,  reflète la froideur sociale ambiante, la mort de l’art – et du plaisir – de la conversation –du narrer traditionnel. L’expression grattée de son clinquant et retenue avec ironie équivaut pour Point Barre , en fait, à la capacité de s’ouvrir aux stratégies préméditées sur la langue, à la curiosité envers tous les registres au risque d’en perdre la boussole, au souci de ce que des auteurs tous azimuts apportent en matière de vitalité artistique. La revue accueille et promeut les expériences étrangères, confirmées ou prometteuses, pourvu qu’elles soient menées, en Europe, Afrique, dans les Amériques frappées du châtiment après Babel, en français. La langue démotique décrispe les expressions convenues, la débride, la dévergonde, la restitue dans sa sexualité intrinsèque – ses connotations savoureuses, dans son habillage au plus près du corps ainsi qu’une manière de concevoir le monde au ras du bitume, symptomatique d’une détresse sociale ou de génération. L’extrait de Les fantômes du futur luxe de Sedley Richard Assone laisse parler la gouaille morbide du drogué, sa morgue devant la bienséance et le prêt-à-porter législatif en vitrine. Désormais la volupté, l’attirance, sont communiqués à la façon du romancier américain Herbert Selby Junior. De même Alex Jacquin-Ng, poète autant qu’illustrateur dun°, pratique l’apocope du style parlé, les formules racoleuses reçues comme uppercuts quotidiennement au survol de la presse à scandale, un style « dur à cuire », brutal et sommaire où l’humour  du « révolté « se veut agressif. Comme dans  un polar… une bédé.
De tout temps la poésie, jalouse des volutes de la logique formelle, essaie de rivaliser avec elle, elle en est seulement mitoyenne, la jouxte (avec des affinités évidentes) mais ne se confond pas (toute ressemblance entre elles est purement fortuite)  – le sonnet du XIXe partait des prémisses du syllogisme pour nous dérouter -, ou  des tours de passe-passe – devinettes - du conteur arabe, du sage orientale adoptant l’oralité pour se mettre à la portée du public. Yusuf Kadel cisèle ses sentences à partir de termes génériques « l’eau », « le sens » « le feu » : avec un effet de bascule où il veut égarer le bon sens, frapper par l’image  « rivière
est le nom que porte l’eau/ lorsque tenue en laisse» ou coïncider avec l’évidence facétieuse, pour (se) jouer et lutter contre la paresse du lecteur  manquant de perspicacité («Le verre / est frêle car tracé de regard/… il fait moins sûr sous nos yeux / que sous nospas » !». Les leçons partent d’un esprit serein et espiègle,demandent de la finesse d’esprit autant qu’une grande simplicité dans la forme, la démonstration d’équilibriste peut également dépendre d’un prétexte abstrait (« le bonheur’), que plus , de façon plus immédiate, d’un détail visuel (« la couleur », « le givre », la neige »). Ou d’une certitude : « Les chemins depuis le goudron / ne sentent plus les pieds ») Bien différente était la veine dans « Le vert est le fruit » paru dans Carnavalesques 4. Yusuf Kadel entreprenait une tâche « considérable »,  burlesque à la manière de Jean Yanndans le film Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, consistant à vulgariser la Bible et dans une narration amusée en reprenait les personnages, d’Abel à Abraham, de Noé à Moïse, chacun dessiné à gros traits (« Adam et Eve étaient potes ») , protagoniste d’une histoire banale (« Abel dérapa sur on ne sait quoi… ») ou d’une événement anachronique (« il construisit  le premier super paquebot -  tout en bois… ») Les clins d’œil ne manquaient pas (« Abraham  dit l’Irakien – était Patriarche…»). Cela montre, grappillé au hasard, l’ampleur des registres de Yusuf Kadel, sa pédagogie humble et amusée, la souplesse de son écriture sans courbatures capable de contorsions narratives et d’aphorismes drôles, un peu à la manière f’un Guillevic de l’hémisphère australe, prenant son lecteur dans un français à contrepied..

A quoi bon parler de Khal Torabully, pèlerin en Guadeloupe ? Ambassadeur des coolies, lexicographe des particularités
localesdu français tel qu’il se pratique entre Caraïbes, Afrique francophone et Océan Indien, dans son récent dictionnaire exceptionnel. Sa démarche est toujours de curiosité et de trouvailles. Dans la conversation, l’homme est sympathique. Son œuvre est importante, et Chair corail un de ses textes majeurs.
 
Avec Umar Timol, le lecteur est confronté à une tension orageuse entre les mots, une dynamique ascendante, le crescendo d’un chant d’exaltation et de douleur amoureuse.
L’auteur sait créer une atmosphère dramatique dans un seul décor de thé
âtre ou de représentation lyrique. Son chant de louange à la femme effleure avec la précision d’une caresse violente, qui s’apparente au viol (« Je lisse ta nuque. J’éploie ton ventre »). L’ambiguïté du baiser et de la morsure, du geste privé et cérémonial est renforcée par le statut qu’il assigne au lecteur, spectateur et participant voyeur à une messe érotique qui prête à confusion tant elle prend par moments, à l’acmé pathétique, les dimensions d’une dévoration répugnante et d’une éviscération de l’aimée devenue une victime expiatoire, à l’instar du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud. La référence est donnée, elle est opératoire même si Umar Timol la récuserait. Son inspiration rappelée à travers un extrait de Sangainsi que l’ensemble du recueil paru à l’Harmattan, avant Vagabondagesen 2008, permet d’établir des correspondances avec certaines scènes très fortes rencontrées dans le théâtre de Shakespeare. Par exemple, avec les scènes de ménage entre Mac Beth et son épouse découvrant, derrière la jalousie, l’appétit criminel du pouvoir de son mari. Le poète laisse planer des menaces quant à ses projets dans ses paroles : «  Et je veux encore longtemps ramper comme un animal sur ton linceul. Et le rapiécer avec mon sang ».La barrière morale est tout à la fois levée, tout à la fois férocement fracassée, la dignité du soupirant fait partie de ces oripeaux vains imposés par les conventions de la société. Le poète s’en débarrasse comme d’un sous-vêtement sans importancejeté avec désinvolture sur le plancher. Le désir enflamme et brûle, il dissout comme l’acide et le poison – autre accessoire de la tragédie -. Le lecteur n’y peut rien, rivé sur la phrase rageuse imprimée sous ses yeux devant cette performance verbale, il y survit éclaboussé par la « crasse et la « boue » d’une logomachie sauvage non limitée aux mots. Le talent d’Umar Timol réside dans l’accomplissement d’un discours  lyrique - dans une promesse tenue à travers un « lexique fort », « tu est festin que je rompt et qui me corrompt » – désencombré  d’épithètes superflues . Chaque qualification de la femme – flatteuse avec le ton adopté devant sa proie --  est référencée et donnée pour vraisemblable : « Tu sillonnes les mers vengeresses et les rues fétides… mes plaisirs terrifiés… ») On entend le « bruitage « des compliments et des outrages adressés en guise d’accompagnements sonores de ces mots martelés répétitivement : « Et tu es… Et tu es… Et je veux… »). La poésie d’Umar Timol, captivante et très démonstrative, possède ce pouvoir d’adhésion immédiate du lecteur, cette vigueur de leader convaincant tout de suite et rend rhédibitoires toutes les formalités du suffrage. Son discours consacre la certitude qu’une événement s’est produit – a lieu effectivement pendant la lecture - et qu’il faudra supporter les conséquences de ce précédent.
Point Barre paraît avoir retenu pour thème  commun de l’anthologie « l’étreinte amoureuse » à travers Umar Timol, Ananda Devi, Khal Torabully et Alex Jacquin-Ng Un autre parti pris respectable est d’avoir laissé la parole à un préfacier, notamment Anil Dev Chiniah, libre dans ses opinions, passionné au point de ne pas mâcher ses mots, d’une subjectivité décomplexée, susceptible et extravertie. Cela est tout à son honneur et donne à Point Barre une fraicheur de ton en rapport avec ce qu’il faut entendre dans le sens noble d’hospitalité. Moins heureuse nous paraît l’idée de postposer – d’engranger dans les armoires - le patrimoine mauricien oublié qui n’a rien de négligeable et de poussiéreux. Pourquoi ranger au grenier – ou à la cave – les cantines d’un grand voyageur comme Malcolm de Chazal découvert en France dans les années 1940 ? Ses aphorismes donnent prise  à la faculté de s’émerveiller encore et trahissent une pensée originale, déconcertante,
Rédigées par bribes et donnant envie d’aller voir à quoi ils ressemblent dans l’original  les théories exposées
de Sens plastique : « Les fleurs savent rire… Les troupeaux ne marchent au pas qu’à l’approche du danger… Nul ne maigrit ni n’engraisse uniformément des organes». Et Jean Fanchette, gloire intemporelle ignorée ? Sa prose hésite, pousse sur sol instable, entre prose et poésie en strophes, dans une grande maîtrise de l’écriture à longues manches et à col amidonné, texture de qualité indéformable, ajustements de mots très affutés, une langue en possession d’elle-même et généreuse en semis, en pousses et en bourgeons, où le fer à repasser ne laisse aucun pli disgracieux. L’apparat critique signale également que Jean Erenne (1911- 1984) est « moins connu et relativement peu cité ». L’extrait de L’ange aux pieds d’airain, son œuvre maîtresse, prend pourtant des accents très modernes, franche et volontaire, émancipée des cliches « l’hugolâtrie est aussi à la mode / Aïe mon cœur de cœur   ce chien de cœur   ce cœur de chien / écrasé sous le rapide 1934 ».
Contrairement à la rhétorique et  posture poétique des auteurs de la Caraïbe, Guyane, de Haïti et des petites Antilles, agités de convulsions, marqués au fer rouge de la révolte et de la misère – tectonique, - sur le plan économique, sous-développée – et dépendante d’une métropole ; dans un habitat austral très différent, la poésie mauricienne, d’après ce qu’on retient de l’anthologie offerte grâce au collectif de
Point Barre, s’ouvre peu aux questions sociales, réprime ses réflexes de révolte, tait ses raisons d’être mécontente, - et de se plaindre et de protester, sinon de façon épisodique -  à travers quelques ombres portées visibles compte tenu d’un accident relevé dans l’appréciation du bâtiment. Pourtant Maurice est un véritable patchwork d’ethnies déplacées, transbahutées, colportées avec leurs cultures et religions. Elle bruit dans un brouhaha de langues entre anglais et français sans oublier le créole. C’est une grande parlerie d’hommes éreintés par l’Histoire – fouettés par une modernité qui fait baisser le taux d’hémoglobine d’après les analyses sanguines, malgré tous les thalassothérapies et les cabinets de chirurgie sophistiquées, les techniques innovante dont l’île – elle -  profite et dispose à volonté pour le client.. . sans oublier l’attrait de ses piscines forcément indigo et  de son hôtellerie raffinée après qu’elles ont chassé en périphéries de ses centres balnéaires, les taudis et les problèmes de fin de mois cruels imaginables en banlieue.
Quoi qu’il en soit, le compte de la poésie mauricienne contemporaine est régulièrement alimenté. Ses poètes sont solvables. Profitons-en.

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