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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 19:15

 un article d'Alain Gnemmi

 

 

 

Entre nuit et soleil

Lionel Ray, éd. Gallimard 2010

 

 

 


 

Lionel Ray a essayé, en bifurquant plusieurs fois en cours de carrière, de donner un visage nouveau à l’objet poétique - démarche formaliste - ou de changer de miroir – œuvre sous pseudonyme - pour assurer la poésie de son atemporalité. Mais sa démarche de déconstruction du discours lyrique a beau rendre la lecture inconfortable, elle se reconnaît entre toutes ; un poème de Lionel Ray est un poème de Lionel Ray. Le texte donne l’impression d’inventer et d’expérimenter un territoire inconnu, de chercher son parcours, de tâtonner négativement, à partir de la matière brute des mots, et s’appuie sur un mètre traditionnel donné d’emblée, l’alexandrin admis ou récusé – le décasyllabe, avec en renfort le gros du bagage de la versification, des ressources de la césure et de l’enjambement, de la voix et de la circularité.

 

La présentation typographique d’un texte a son importance, variable indéfiniment dans les solutions proposées, elle est très démonstrative au regard et propice, dans l’esprit, aux interrogations sur le sens : poème d’une seule coulée, disposé en distique (dans « Autre et le même »), blancs entre les énoncés linéaires (« Visages, lieux d’ombre »), formatage des strophes dans un nombre de vers libre. (« Le temps figuré »). L’essentiel paraît être pour le poète de s’éloigner le plus possible d’un cadre établi, le sonnet, en quelque sorte carcan structurel, dans une « inscription d’un vertige qui n’a pas de nom »

 

Il s’agit de poèmes, de récit, en fait, d’échos en prose, de fragments conservés et réunis grâce à des ruses de mise en page. Les images recyclées dans la thématique viennent de la culture bien plus que d’une expérience vécue et d’événements individuels : hiver emblématique, dispersion des objets élémentaires à cause du temps, inconfort de vivre, mémoire qui s’appauvrit des personnes et des sentiments, priorité de la voix et des mots courants. Le laboratoire du biographe exécute moins une sélection dans son imaginaire très intellectualisé de la langue qu’un traitement dans l’improvisation du rythme et des mots auxquels il a toujours fait confiance. D’où l’impression d’une écriture aisée, d’un style original, qui ne tombe pas dans les excès des manifestes lettristes ou de la technique du copier/coller systématisée par les représentants de la beat génération. Lionel Ray aime les références savantes, cite Rimbaud, Ingeborg Bachmann, Joyce, Mozart et le peintre Roberto Matta.

 

Le poème a pour scène la table de travail, pour unité de temps, la nuit, sous la lampe devant la fenêtre. Le titre donne le thème à développer et engendre des images à travers un jeu tranquille d’assonances. Toujours animé par le principe du changement, par la relation entre la voix et le regard, les mots et les images, l’auteur poursuit la démarche entreprise dans Comme un château défait et Syllabes de sable rassemblés en collection de poche Gallimard.

Les poèmes qu’on préfère sont bien évidemment ceux sur la quête identitaire - un sujet se constitue et déconstruit - dans le travail d’écriture où sont partagées les préoccupations des linguistes nostalgiques de la grande épopée du langage aujourd’hui révolue. La poésie sort seule rescapée de la banalisation de la pensée artistique et résiste devant la création en roue libre devenue possible par les progrès de l’informatique et des logiciels de traitement de texte.

 

 

 

 

Cette heure seule dans le crépuscule d’été :

on n’entend déjà plus qu’un bruit de clefs.

 

Les mots changent, sable de plus d’éclat,

sans brume ni reflet sinon la voix.

 

Les mots changent de base et de fenêtre,

Inquiets du surcroît de silence qui les pénètre.

 

Poussière à jamais, est-ce un dieu qui dort

dans la mémoire étrange de l’aurore ?

 

Ou bien les années revenant de plus loin

ayant perdu la lumière en chemin ?

 

L’hiver est proche et sa douceur déborde

et la nuit tourne en moi étourdiment.

 

La beauté pend à cette corde

comme un corps trop usé, gémissant.

 

Alain Gnemmi

 

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 17:49

On ne présente plus François Maubré.

Mais on en parle dans le Landernau des Vosges.

Il présentera "Montagne de printemps, plaies de briques" sur les ondes de Vosges Télévision (Image Plus) durant  un interview mardi 22 février à Epinal

Les dates et heures des passages à l'antenne vous seront indiquées sur ce blog.

 

 

 

 

montagne-4-couv.JPGmontagne-couverture.JPG

 

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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 23:18

Un petit tour par la revue FrIches et le numéro 106 pour y rencontre quelques poètes que nous connaissons bien

Ce cahier de poésie verte nous est connu grâce à Bernadette Throo, adhérente des Almis de la Poésie demeurant à Nancy et poète régulièrement publiée.

 

Le numéro 106 est consacré à Alexandre Voisard, poète suisse, présenté ici par notre amie Danièle Corre, présentation suivie d'un entretien avec le poète et de textes inédits.

 

 

 

Le sommaire réunit 9 poètes sous les rubriques "cahier de textes". Les feuillets "sur la table inventée" proposent le texte inédit d'un poète et " le texte d'un auteur contemporain dont ils aiment particulièrement la poésie".

Maryvonne Digot a invité Michel Ménaché ; Bernadette Throo, Danièle Marche.

 

rfriches-106-couverture.JPG

FRICHES 106 / 12..00euros (+2.00 euros de frais de port)

adresse : le gravier de glandon - 87500- SAINT-YRIEX

abonnements : renseignements surwww.friches.org

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 17:09

Après "La Tonnelle" , voici donc "Montagne de printemps, plaies et briquesarticle-maubre-montagne.JPG

le nouveau recueil de François Maubré

 

en vente dès la semaine prochaine à "l'Autre Livre" à NANCY

et dans les autres librairies la semaine suivante sur commande

 

et chez l'éditeur : editions.aspect@gmail.com

prix public : 10.00 euros (+port)

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 16:02

un article d' Alain Gnemmi

 

Les pierres du temps

Tahar Ben Jelloun,

 

coll. Points, éd. Du Seuil 2007

 

 

 

Tahar Ben Jelloun, médiatisé depuis le Goncourt 1987, est connu pour ses romans et essais, malgré quarante-cinq années de poésie. Le recueil rassemble des démarches très variées, en 5 sections : « Clair-obscur », « Les pierres du temps », « Le retour de Moha », « Fès Trente poèmes », « Cinq poèmes sur la peinture de James Brown ».

La passion du Maroc se partage en focalisant les paysages et les habitants. Travail d’illustrateur et de conteur, en collaboration avec un peintre, un photographe, dans un monde à lumière variable. Occasion aussi de défendre une position devant ceux estimant les écrivains maghrébins condamnés à n’écrire que des autobiographies.

 

Le récit de vie fonde une œuvre, mais décape surtout les souvenirs d’enfance trompés par les jeux de miroir et annonce un imaginaire tourné vers le présent. On retient que la mémoire ne meurt pas tout à fait dans l’attachement à Fès, ville des origines rescapée des erreurs de l’Histoire et d’une prétention à servir de modèle oriental, en concurrence avec Petra ou Babylone. Son charme exceptionnel frappe les voyageurs du monde entier grimpés sur ses terrasses, égarés dans ses jardins et marchés, impatients de photographier les tanneurs, les vendeurs du marché des épices, - ou les visiteurs du palais d’Idris 1er -. Seule la jeunesse aujourd’hui reste insouciante devant la beauté de cette dame légendaire encore bien alerte et pourvue de raison.

 

Tahar Ben Jelloun se promène entre nostalgie et agacement, tendresse et éloignement, dans une sensibilité pendulaire. Par besoin d’espaces il préfère le Tanger de son adolescence ouvert sur la mer, et retourne d’autres pierres, dans le cimetière jouxtant un village. Le poème dans sa disposition typographique emploie indistinctement le verset (« Enfance éphémère ») ou le vers libre, pièce courte d’une dizaine de lignes, semblable à un conte, parabole sur des acteurs modestes, occupés à leur tâche ou distraits par l’attente de la pluie.

Le vocabulaire pictural est nécessaire dans les passages descriptifs parce que le regard possède quelque chose de tactile, qu’il intervient sur le motif, dépassant le sentiment de beauté immédiate, dont il retient un détail, une couleur, qu’il traduit en mots, et endigue ainsi le désordre des impressions. La langue française adoptée au prix d’un renoncement aux symboles de l’arabe dialectal ne renvoie pas à une forme d’exil supplémentaire, contribue, plutôt qu’elle dessert, dans la volonté de cerner l’identité des autres. L’écrivain veut se débarrasser de son visage et acquérir la liberté de dire avec distance comme le personnage porte-parole de son roman, Moha le fou, Moha le sage : »Je peux tout dire. C’est le besoin de parler pour ne pas étouffer / Pour continuer à voir et à transmettre ». D’un ton plus direct, le monologue facilite la transmission des épreuves rencontrées et le recentrage sur des valeurs en très petit nombre, essentielles, données par un corps rompu, paradoxalement mort et en état de témoigner. Le rire supplée le cri de douleur et apaise celui qui a conservé, à travers les épreuves, le don de la parole.

Le détachement de Moha résigné et fasciné devant le secret du désert, « un livre jamais écrit », n’empêche pas de rappeler la solidarité avec les manœuvres de « l’arrivage » tombés dans l’anonymat des cités du Nord, par-delà la Méditerranée où les femmes portent toujours leur part de deuil et de mauvais rêves, et le poète – Jean Sénac – « un arbre / grand, très haut, qui se penche sur l’été pour veiller la mer ».

 

1.visages, lieux d’ombre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le discours du chameau suivi de Jénine

Tahar Ben Jelloun,

  coll. Points, éd. Du Seuil

 

 

Un poème ne console pas de leur misère les immigrés en banlieue, villageois du mont-Sinaï, victimes du nettoyage des camps palestiniens. Pourtant le recueil puise dans le silence et l’exode des réfugiés en leur prêtant une voix (« je n’écris pas pour eux mais en et avec eux. Je me jette dans le cortège de leur aliénation ».). Romancier, essayiste, poète, Tahar Ben Jelloun collecte et réécrit leurs témoignages, geste créateur remarqué dès son premier recueil Hommes sous linceul de silence.

Le parti des « défaits » demande des accents individuels de provocation et de révolte (cf. « Attends voir »). Le Maroc entre Fès et Tanger, après l’expatriation, garde cependant un visage humain. Le pays natal marqué par la corruption sur lequel seul le temps paraît lâcher prise, empreint de beauté, reste toujours photogénique.

 

Sur leur dimension militante, on peut dire que les textes rappellent des événements et noms évoqués dans les médias, quand ils occupaient l’actualité ; massacre du village de Deir Yassin, destruction de la Trouée de Rafah, déportation de la population arabe, guerre « civile » au Liban. Leur écriture liée à un acte de dénonciation sociale relève avant tout d’une démarche autobiographique, et cherche par la violence une identité à inscrire dans ce que les mots ont de mouvant et d’incertain.

En cinq-cents pages, le livre rassemble des poèmes de circonstance, légendes d’albums photos, hommages à Jean Genet, au poète Mahmoud Darwich, au photographe Boubat. Célébrations de Paris, de Marseille, de Maurice. Tahar Ben Jelloun déploie son énergie sans cesse en éveil à travers son habitude de tenir des carnets de voyage, même dans un lieu aussi fréquenté et impropre à la concentration qu’un aéroport.

 

Peu porté sur les confidences, Tahar Ben Jelloun ne conçoit pas la poésie comme une source d’épanchement. S’il se livre au détour d’une phrase, en quelques renseignements biographiques, c’est afin de produire le matériau du poème, dans la migration de la langue qui n’a pas de départ (« je suis né dans une petite ruelle de la médina de Fès – aujourd’hui détruite »). Plus productive de sens est la médiation d’un personnage allégorique, reprise du Goha consacré en Turquie et dans le Maghreb, de Moha, le double de l’auteur, ou d’un messager de la sagesse du désert, le chameau, qui permet de renouer avec l’oralité du conte et d’exploiter les possibilités de penser par images. Les définitions du poète et de la poésie sont autant d’occasions de recréer la parole d’un interprète. Le poète, dans sa double fonction de porte-parole et de relais mémoriel des conteurs, est effectivement le « passeur d’épices », le « migrant », le « passager de l’espèce ».

 

Tahar Ben Jelloun entretient le dialogue, opère la jonction entre cultures arabe et européenne. Son originalité est de les concilier et de nous aider à comprendre le patrimoine méditerranéen. Le monde actuel bouleversé, après les deux guerres, par les indépendances, les migrations et conflits territoriaux du Moyen-Orient, tourmente sa conscience. Mais en tant que francophone, le poète se considère aussi comme « l’hôte imprévisible de toutes les langues », et construit son discours suivant son propre fonctionnement. En conservant ses rêves brisés de l’enfance, il invite à le suivre dans son intériorité et ses intuitions souvent heureuses.

 

 

 

 

 

 

 

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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 11:19

 

 

Pour les âmes

Paul-Marie Lapointe, Ed. Typo

 


une lecture-critique d'Alain Gnemmi

 

 

Paul-Marie Lapointe rassemble des textes composés au cours de sa trentième année dans le domaine du journalisme au Québec, entre 1960 et 1965, parmi eux, servant de préface ou de manifeste, Arbres, un acte de foi revivifié dans les espaces forestiers. Un hymne aux herbes géantes. Un poème dominé, suivant une distribution parcimonieuse de la phrase, par des blancs typographiques. C’est sur lui, exemplaire de la mise en discours, déroulement, geste assuré autant qu’accès aisé, que nous voulons nous arrêter.

L’ancrage énonciatif des plus succincts – presque enfantin : « j’écris… dans tes paumes carrées »-, où s’annonce, en partie, la représentation visuelle des formes et contours - est donné dès l’entrée : c’est le geste inaugural du démiurge, l’artiste reconnaissant que la « terre animée » est son domicile « et qu’il peut, propriétaire et occupant, revendiquer son domaine imaginaire (« j’écris arbre »).

En cours de psaumes, sont rappelés en refrain ou en guise de changements de direction - l’acte d’écrire assumé -- la plante donnée en tant qu’organisme - au sens botanique du mot – la plante assimilée à l’écologie ou économie du vivant – l’arbre instaurateur d’un nouvel humanisme, « j’écris arbre / arbre pour arbre », « j’écris arbre / arbre pour le thorax et ses feuilles », « j’écris arbre animaux tendres sauvages domestiques ».

 

Le poème, disposé en versets et en énumérations, se parcourt de gauche à droite, d’ouest en est, et verticalement, allant du général au particulier, du particulier au général suivant le renversement d’une litanie. Rien de ce qui est enregistré sous un nom n’échappe à sa renaissance par le regard et au réenchantement par la magie de l’écriture.

La scansion supprime les données discontinues : pin/ cède/ genévrier/ sapin/ bouleau/ aubier/ peuplier/ noyer / saule/ caryer/ aune/ chêne / hêtre / cerisier / vinaigrier / aune / orme / sorbier / pommier/ frêne/ érable/ sureau. Le modèle linguistique approprié à cette juxtaposition des espèces représentées est l’extension d’un terme - ou hyperonyme. Ce modèle couramment employé comme entrée nous conduit, en feuilletant des pages, aux sens voisins rencontrés dans un thésaurus ou dictionnaire analogique : conifère, pin, chêne, peuplier. Une encyclopédie à la rubrique « botanique » renverrait également à « caryer », « baumier » d’Afrique ou « chinquapin», espèce propre à l’Amérique du nord. Les dictionnaires permettent de voyager dans les mots autant que dans la géographie.

 

Depuis Jack Goody, l’anthropologue auteur de la « raison graphique », nous savons que les premières formes d’écriture dans l’humanité – en Mésopotamie, 3000 avant J-C – furent des listes, des tablettes de classification de toutes sortes de choses, à des fins comptables. L’écriture, la transcription et la qualification, l’une et l’autre, inséparables, transformèrent la vision du monde, amenèrent une conscience des objets et une analyse efficace du langage, la reconnaissance d’un attachement entre membres d’une tribu. Sciemment ou non, le poème renoue avec cette pratique primitive de la liste – éloignée de l’inventaire à la façon de Jacques Prévert ou de Georges Perec - et fédère les lecteurs espacés – par leur subjectivité - dans la communion.

 

L’arborescence généalogique des ancêtres ou des descendants n’est pas non plus fortuite. Chaque arbre confondu avec les ancêtres bénéficie d’un culte particulier, il est sacré. Baobab dans le Sahel. Arbre du voyageur dans la Caraïbe ou l’Océan Indien, là où son espèce pousse et prolifère de manière endémique.

L’abattage permet au menuisier de produire les espars d’un bateau (« mats fiers voiles tendues sans remords et sans larmes »)... le mobilier d’intérieur (« calmes armoires et des maisons pauvres / bois de table et de lit »… le « bois d’aviron » pour des loisirs… entre autres objets manufacturés : les « coffres de fiançailles «… le coffre de l‘épinette («épinette breuvage d’été ») pour la musique… le sapin sert d’assise des villes (« pilotis des villes fantasques »). Dans la métaphore par apposition «bouleau fontaine d’hiver, parquets de bal », les soirées dansantes succèdent aux veillées estivales en plein air, le bouleau fournit la piste de danse. Moins elliptique, Paul-Marie Lapointe recourt plus loin à une image religieuse, précise à la fois son attitude et les objets associés : « l’arbre est clou et croix/ croix de rail et de papier / croix de construction d’épée de fusil ». Les symboles religieux et historiques sont couplés au moment du chant où la plainte l’emporte sur la célébration.

Les données sensorielles à partir d’un trajet circulaire au pied de l’arbre (« arbre d’orbe en cône »), sont révélatrices d’un désir de fabriquer un tableau au moyen de chaînes de mots, et passent avant les préoccupations de sylviculture et d’écologie, sous-entendues à travers le « noyer circassien », planté contre l’érosion en surface pendant la sécheresse de l’hémisphère nord. L’axiologie de Paul-Marie Lapointe concerne autant les pouvoirs bienfaisants des plantes (« tilleul tisane de nuit », « « hamamélis coupant le sang des plaisirs ») que les plaisirs sensuels (« cerisier bouche capiteuse et fruits bruns/ mamelons des amantes »).

Le poème porte une ambition encyclopédiste autant qu’un paradigme universaliste, producteur d’images filées - une érotique --suscitées dans la louange du corps féminin. Nous les retrouvons ailleurs dans « Entés de l’arbre sucré » :

 

« Vit-on autretemps que la nuit

Dans tes caresses mauves

Dans le fruit melon rose

De tes lèvres et de ton sexe ?

Vit-on autretemps qu’en toi

Par le délire et la sagesse

Les corps croisés

Entés à l’arbre sucré

De nos os ? «

 

Les poèmes de célébration, à partir de « arbre … sève en lumière«), gravitent, dans une inspiration anthropomorphique, autour d’une pièce à « morphologie partielle » : »j’appelle… un fleuve / les processions d’arbres signaleurs / une eau de hanches et de sein…( dans »Message de ton corps »),

ou

 

« tes seins multiplient leurs amis

mes mains

tes seins sont à l’affût

cueillent l’abeille ».

 

 

 

«Traversée des feuilles » esquisse un blason :

 

« on ne touche pas cet oiseau rond

ce nombril sans qu’il élève autour de lui

la cage rose de ses doigts »

 

 

L’aspiration à «récupérer l’âme de l’homme, l’âme du réel (le mot âme est un triste mot, galvaudé ; mais âme signifie : insatisfaction de l’existant… Ame est très terre à terre…» ) manque de points d’accroche événementiels et de combats propres à sa révolte. Certes, la poésie s’insurge contre la langue consacrée. Elle tourmente une sensibilité en sommeil. Son devoir est d’insuffler la « révolte » - Révolte. Mais le recueil gomme les références historiques et stratégiques (sauf l’explosion générale évoquée dans « ICBM (Intercontinental Ballistic Missile», allusion aux missiles de courte ou de longue portée), l’invention tangue dans l’alternance saisonnière entre hiver et printemps, entre vie champêtre et urbanisation accélérée, dans la dualité entre ville carnivore et campagne traditionnelle.

 

La terre, aimée et célébrée, - par bien des aspects, semblable à un champ de bataille (« tes blessés reposent en délire »), constitue un bien indivis, un nid planétaire avec « ses hommes de peine l’engrais sans langue ». Un Golgotha des «pères crucifiés » qui « vont au bois le dimanche » (« Psaume pour une révolte de la terre »). La sérénité auparavant manifeste laisse planer des forces implosives : colère, assassinat collectif, autodestruction, appétit matériel, obsession de la fragilité de l’environnement. Considéré comme une partie du vivant, l’homme, macrocosme minuscule au cours d’un vol transcontinental, à l’échelle des villes, apparaît comme un travailleur désigné pour les corvées du profit :

 

« petit homme

irremplaçable petit homme

avec ta faim

et la terreur qui te fuit et te poursuit ».

 

La femme, juchée sur l’autel de l’adoration, vénérée et caressée, icône et partenaire («fille de - et en - chaleur « ) dotée d’une maternelle douceur, est pénétrée, dans l’étreinte – telle un refuge précaire -, pour recevoir la mort

 

« la fleur ne pénètre en la fille que hantée par la mort

et s’y construit une fragilité

elle craint qu’une ville ne périsse

brûlée

ses hommes ses maisons

les jardins sans pierre ».

 

Se livrant dans « Gravitations » à travers un sarcasme « nous saluons la tristesse des deux mains », Paul-Marie Lapointe considère que la banalisation économique accroît le gaspillage – cf. la récurrence du mot « coffre » à l’ambiguïté phonétique (offrir) et sémantique (contenir). Appauvrit la diversité des cultures. Le recueillement dans la prière « Pour les âmes » permet d’entendre le grondement souterrain des victimes d’un passé guerrier et des ethnocides de la société occidentale :

 

« le temps tombe

une tribu perdue remonte à la surface

Enfants des pyramides du soleil

Amphores de poussière maïs et

Fourrures…

Le temps tombe

Abénaki maya nègre de Birmingham

Ames civiles de mes morts sauvages… ».

 

Les demandes ruminées (« où allons-nous ? ») annoncent une affirmation dans « Epitaphe pour un jeune révolté » (« tu ne mourras pas un oiseau portera tes cendres… ), tablant sur la réhabilitation des ancêtres et le renouveau générationnel (« pluie des petits hommes/ je te salue / comme la venue d’une cinquième saison ».

 

Les raisons de ne pas désespérer se rencontrent dans les voyages réconciliateurs avec le genre humain (Cuba, Mexique), et dans la musique blues et jazz des cultures nègres infléchissant son esthétique, apportant au poète des règles d’improvisation plus utiles que l’écriture automatique.

Paul-Marie Lapointe développe un thème, un standard, dispose sa grille harmonique (« toit de maison… toit de ville / toit d’arbre et d’oiseau… »), adapte le thème à son rythme heurté, son mètre impair, ses appositions et enjambements, augmente ses possibilités par plusieurs instances locutrices et impose le registre – le timbre - de voix sous-jacentes. Les chemins de traverse aboutissent à des rencontres inattendues.

 

Le critique Robert Mélançon, préfacier du recueil et spécialiste de Gaston Miron, autre porte-parole de la francophonie poétique, part du principe qu’ «un poème est un événement, une somme d’événements enchaînés. On y revient sans cesse parce qu’il s’y passe quelque chose dans la langue… ».

 

Paul-Marie Lapointe ne manque pas d’humour, dans ses exagérations (« je suis plus triste que le rhinocéros»), « soyez tristes, disions-nous… », conscient de la légèreté de la poésie, dans les flèches décochées aux politicien.

 

 

« un cratère s’ouvrira dans la poitrine du premier ministre

Il se croira le vésuve

Mais tout cela sera du miel et de pain ».

 

                                                                                                    *****

 

 

extrait du site "d'île en île "                                                                                        

Notice biographique

(Saint-Félicien, le 22 septembre 1929 - ) Poète, Paul-Marie Lapointe a étudié au Séminaire de Chicoutimi, au Collège Saint-Laurent et enfin à l'École des Beaux-Arts de Montréal. Journaliste à L'événement et au journal La Presse depuis 1950, il est directeur de l'information au Nouveau Journal de 1960 à 1961, puis rédacteur en chef du magazine Maclean's de 1963 à 1969. De 1969 à 1992, il occupe différents postes à Radio-Canada. Il a également participé à la fondation de la revue Liberté et a fait partie de l'équipe des Éditions de l'Hexagone. Sa poésie a été traduite dans plusieurs langues.

En 1971, Paul-Marie Lapointe reçoit le Prix Athanase-David pour l'ensemble de son oeuvre ainsi que le Prix du Gouverneur général du Canada pour son recueil Le Réel absolu. Il obtient également le Prix de l'International Poetry Forum (États-Unis) en 1976, le Prix de La Presse en 1980 et le Prix Léopold-Senghor en 1998. En 1999, il obtient le prix Gilles-Corbeil pour l'ensemble de son oeuvre. Il est membre de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois. Enfin, il obtient un doctorat honoris causa de l'Université de Montréal en 2001.

Katia Stockman

 

Pour les âmes (1993)

Paul-Marie Lapointe ; préface de Robert Melançon, Pour les âmes - précédé de Choix de poèmes : Arbres, Montréal : Typo, Typo ; 77, 1993, 118 p. ; 18 cm. ISBN : 2-89295-089-9 (br.)

 

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 10:55

 "Témoignage chrétien" nous a permis de reprendre intégralement l'interview donné par notre ami Tahar Bekri au journaliste Martin Brésis

  

 

Tahar Bekri,
écrivain tunisien loin de Tunis

Par Martin Brésis

Tahar Bekri. Copyright : DR Tahar Bekri est l’un des auteurs les plus renommés de Tunisie. En 1976, il a décidé de s’installer à Paris, où il vit toujours. Il enseigne la littérature à l’université Paris X-Nanterre. Cet écrivain en exil évoque la place des artistes dans son pays natal.

Mercredi 19 janvier, au théâtre de l’Odéon, des ar­tistes et intellectuels maghrébins ont témoigné de leur solidarité avec le peuple tunisien. Il y avait là, entre autres, Tahar Bekri. Poète, écrivain, traducteur, il l’un des auteurs les plus renommés de Tunisie.

Et comme la plupart des artistes de ce pays, quasiment inconnu du grand public en France, où il vit pourtant depuis plus de trente ans. Serait-ce l’un des dommages collatéraux de ce régime autoritaire en place depuis des décennies d’avoir empêché la diffusion d’œuvres majeures ?

La création elle-même était-elle possible, de Sfax à Bizerte, sous Bourguiba puis Ben Ali ?

« Bien sûr, répond Tahar Bekri. Il s’est passé en Tunisie ce qu’il se passe dans de nombreux pays totalitaires : les artistes créent mais ils sont obligés de ruser avec le pouvoir, avec la censure. Il faut alors utiliser toutes les ressources de son art pour arriver à faire passer, malgré tout, des messages, des idées. C’est ce que les poètes ont toujours fait. Mon ami Moncef Louhaïbi, dont je suis aussi le traducteur, s’est fait tabasser dans la rue il y a deux ans à cause de ses textes. Fadhel Jaziri et Jalila Baccar, en créant le nouveau théâtre de Tunis à la fin des années 1970, ont eu une importance artistique majeure et un vrai succès public. Le pouvoir n’a jamais vraiment pu les faire taire. »

PRISON

Pour faire taire Tahar Bekri, en revanche, les méthodes ont été expéditives. Deux mois de prison en 1972 pour avoir participé à une manifestation étudiante. Rebelote trois ans plus tard. Mais il reste cette fois une année derrière les barreaux. Avec, chaque fois, le même verdict, « atteinte à la sûreté de l’État », et chaque fois, l’interdiction d’avoir recours à un avocat.

« Il y avait un parti unique à l’époque et toute manifestation politique qui marquait sa différence était réprimée. Je n’ai rien fait d’héroïque et nous avons été très nombreux à subir le même sort.»

Après son passage en prison, il réalise qu’il lui sera quasiment impossible d’enseigner, comme il le souhaitait, et que ses droits civiques seront particulièrement limités. Tahar Bekri décide alors de s’installer à Paris, où il vit toujours. Il enseigne la littérature à l’université Paris X-Nanterre.

Fin con­naisseur des deux sociétés – il retourne régulièrement dans son pays natal depuis 1989 – comment explique-t-il la méconnaissance des artistes tunisiens en France, alors même que des Algériens et Marocains y sont célèbres et célébrés, de Kateb Yacine à Fellag en passant par Yasmina Khadra ou Tahar Ben Jelloun ?

« Une explication est à chercher, je pense, du côté de la langue. Beaucoup d’artistes tunisiens utilisent l’arabe, alors même qu’ils sont francophones. Tout simplement parce que leur public est tunisien. Le problème étant que, par rapport à toute cette littérature arabophone, le travail de traduction n’est pas très développé. Tant du côté français que tunisien. »

Dans son dernier livre, Salam Gaza, il avance une autre explication, pro­pre à la société tunisienne et son rapport aux artistes :

« Presque tout naturellement, les Tunisiens accordent, en général, et ce depuis des décennies, plus d’attention et de reconnaissance aux auteurs des autres pays arabes qu’aux leurs, par politesse, animosité ou mépris de soi, je ne sais. Pour se faire admettre dans son propre pays, il faut se faire un nom ailleurs. »

Après avoir permis à la classe politique française de découvrir, ô surprise, que la Tunisie était une dictature, peut-être cette révolution per­mettra-t-elle aux Français de réaliser que ce pays « voisin » est aussi une terre de création.

À lire : Les poètes de la Méditerranée – Anthologie (préface d’Yves Bonnefoy), Poésie/Gallimard, 950 p., 12 €

Témoignages, analyses, reportages... Retrouvez sur le site de Témoignage Chrétien tous nos articles sur la révolution tunisienne.

Voir le site officiel de Tahar Bekri

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 10:53

message relayé de Stéphane Lempereur

 

 

Ce qui est aujourd’hui notre fierté nationale est né dans un village où l’art n’a pas sa priorité : NCY. En 1915, le peintre LOUIS GUINGOT en essuyant ses pinceaux sur sa blouse s’est fondu dans le paysage qu’il peignait. De ce fait, il a imaginé que ce motif qui rend l’homme invisible pouvait sauver des milliers de vies humaines.

Or, à ce moment, notre pays envoyait sur le front ses hommes infortunés vêtus des couleurs nationale ; le rouge garance et le bleu pétrole (déjà). L’état-major, sûr de son intelligence, a bien sûr refusé l’idée saugrenue de déguiser ses combattants en arbres feuillus. Il était alors plus noble de mourir en héros au combat.

Aucun rapport pourtant entre les soldats et ceux qui se sacrifient pour retrouver des vierges au paradis.

Cependant, le fameux lieutenant Jean-Baptiste Eugène CORBIN, mécène de l’école du village déjà cité et capitaine de grande surface, a testé sur les toiles qu’il vendait ce motif abstrait pour en connaître les vertus. Son fils, alors pilote, en visualisant le sol à trois cents mètres d’altitude n’a

remarqué que les deux soldats (sur cinq) qui n’étaient pas « camouflés ». Cette découverte a été le déclencheur, malgré la fin de la guerre qui s’annonçait, de l’acceptation de cette icône que l’on appelle aujourd’hui encore le « camouflage ».

Inutile de signaler que l’inventeur de ce motif universel n’a jamais touché la moindre royaltie.

À la Suite de ces expériences vestimentaires destinées aux tueurs ou à leurs victimes, quatre ateliers de camouflages ont été créés en Camouflistan. Beaucoup de Camouflistanais et Camouflistanaises y ont travaillé à l’instigation de prestigieux artistes de l’époque ; Fernand Léger, Georges Braque, André Mare, Marcoussis, Raymond Duchamp-Villon (le frère de Marcel), Joseph Porphyre Pinchon (le créateur de Bécassine et de Frimousset ) pour les plus connus, puis des courants artistiques ; le cubisme, l’expressionnisme allemand , le futurisme italien et le vorticisme anglais.

Tout ce beau monde camouflait dans la bonne humeur avec parfois des désaccords esthétiques qui différenciaient leurs écoles. Ils inventaient sans le savoir le land art.

La seconde guerre mondiale a été un laboratoire d’expérimentation pour les camoufleurs en tout genre et cela au fil des saisons, ainsi, les allemands faisaient des collections de motifs qui changeaient tous les six mois, etc…

Aujourd’hui en 2050, la République du Camouflistan, après avoir traversé quelques crises

économiques, sociales, identitaires, guerrières, ministérielles, est devenue un territoire où il fait bon vivre. Il y a certes des contraintes et des dangers pour ceux qui veulent s’y rendre mais il y a aussi beaucoup de satisfactions touristiques : ses paysages, son infrastructure, ses commerces, ses produits de consommation, ses artistes, sa prostitution…

Les Camouflistanais sont des gens rustres en raison de la situation géographique rude de leur pays. Mais à l’instar de leur Président, ils sauront vous accueillir. Sans excès de générosité : ils sont avant tout des hommes et des femmes virils.

L’homme moderne qui les dirige et les protège a fait de cette République une véritable entreprise qui exporte ses produits partout dans le monde.

Cette exposition montre quelques aspects touristiques et commerciaux qui pourraient, vous donner à vous aussi l’envie d’y passer un agréable séjour lors de vos prochaines vacances familiales…

Alors, parez vous de vos plus beaux effets camouflant et venez découvrir ce magnifique pays : LE CAMOUFLISTAN.

 

LAKONIK, Ambassadeur officiel de la République du Camouflistan a invité pour cette présentation touristique quelques artistes camouflistanais de grand talent et de grande renommée. Ainsi, vous pourrez découvrir

les oeuvres de ; Olivier Bello, éric Didym, Christophe Gilet, Gérard & Régine Lami, Stéphane Lempereur, Sylvain & Tiziano lang, Jean Christophe Massinon, Mido, Minute Papillon, Claude Philippot, Céline Poutas, Manu Poydenot, étienne, Natalie & Louise Pressager, Yannick Prévost, Thierry Robert, Taroop & Glabel, Jac Vitali.

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Jean-Pierre FRANOUX

 Maire de Malzéville

Malika TRANCHINA

Conseillère Municipale déléguée à la Culture

Le Conseil Municipal

Et

LAKONIK & SES AMIS

ont le plaisir de vous inviter au vernissage de l’exposition

« VOYAGE en CAMOUFLISTAN »

vendredi 4 février 2011 à 18h30

à "La Douëra"  2, rue du Lion d’Or – Malzéville

Exposition ouverte du 5 au 27 février 2011 / du mercredi au dimanche / de 14h à 18h

(fermeture exceptionnelle de l’exposition dimanche 20 février à 16h)

 


 

 

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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 17:14

Nous sommes heureux de vous annoncer la sortie prochaine du second recueil de François Maubré :

 

                     " Montagne de printemps, plaies de briques"

 

qui sera en librairie début février.

 

 

En avant première (comme au cinéma), un extrait :

 

extrait-montagne.JPG 

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28 janvier 2011 5 28 /01 /janvier /2011 15:12

 

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